
Enquête ethnographique du quartier des Etats Unis, Lyon 8
DO COUTO Ophélie, LAMARCHE Juliette, LAROCHE Florentine, MOREAU Elise, MOREL Manon
Réflexions sur la notion de patrimoine
L’anthropologue française Nathalie Heinich précise, dans son ouvrage intitulé La fabrique du patrimoine. De la cathédrale à la petite cuillère, que le patrimoine est un pur produit de l’histoire: c'est-à- dire que ce n'est pas un bien qui s’impose à nous, mais quelque chose créé de toutes pièces. On peut cependant revenir sur cette définition, puisque ce sont les historiens et les politiques qui décrètent, en fonction de l’histoire du bien et de son impact dans la société, ce qui fait patrimoine et ce qui ne l’est pas : cela implique la notion de choix de la part d’un petit cercle de personnes qui officialisent, qui s’approprient, et donc qui imposent, en quelque sorte, un bien comme digne d’être préservé. Le patrimoine peut-être aussi bien matériel que immatériel, dans le cas de notre étude celui-ci est matériel puisqu’il s’agit d’un quartier, donc des bâtiments et constructions qui le composent. Il y a plusieurs intérêts à désigner un bien comme patrimoine : le préserver, le mettre en valeur, le conserver, et le transmettre comme héritage. En effet, une de ses fonctions initiales est d’organiser et de signifier le principe de succession des générations. Le patrimoine est une forme de mémoire et c’est ce qu’essaye de mettre en avant le Musée Urbain Tony Garnier grâce aux différentes activités proposés comme la visite d’un appartement conservé tel quel. Mais rien ne s’impose, telle une évidence, en matière de patrimoine. Pour qu’il y ait conscience de l’héritage, il faut un travail politique de désignation (ce qui a été largement fait avec les nombreux prix qui ont été distribué à la Cité Tony Garnier, ainsi qu’avec le financement des murs peints pour “réenchanter” le quartier), mais aussi d’appropriation de la part de la population, et c’est là que nous intervenons en tant qu’anthropologue. La question est de savoir si la population du quartier des États-Unis a conscience du fait qu’elle habite dans un espace désigné comme étant du patrimoine, et, dans le cas où elle en a conscience, si son intérêt pour le quartier (ses murs peints, son musée, etc) en est amplifié ? L’objectif est de s’intéresser aux conditions sociales dont le patrimoine est le produit, et comment il se réinvente à chaque génération.
Le patrimoine est quelque chose qui est toujours en extension et nous assistons depuis quelque temps à une prolifération de ce qui est désigné comme tel. Chaque époque produit du patrimoine et c’est cela qui le rend parfois insaisissable : lorsque l’on regarde le quartier des États-Unis, nous n’avons pas tout de suite conscience d’être dans du patrimoine. D’ailleurs si on ne nous avait pas dit que c’était du patrimoine, nous ne l’aurions peut-être jamais su. En effet, l’architecture mise en place par Tony Garnier, aussi ingénieuse soit elle, est parfois loin de ce que l’imaginaire des gens (qui ne sont pas des chercheurs, anthropologues, sociologues, historiens, etc) peut produire suite à l’évocation du terme “patrimoine”. On peut se poser ainsi la question de la présence du musée, qui est à la fois le résultat d’une désignation culturelle, et ce qui légitime la patrimonialité du lieu, ou tout du moins, ce qui rend visible cet aspect. L’aspect patrimonial peut-être aussi caché par le fait que ce quartier concentre des logements sociaux, et que les personnes n’étant pas des scientifiques (au sens large du terme), regardent assez peu de ce côté là lorsqu’on leur parle de patrimoine. Nous trouvons d’ailleurs cette rencontre entre le social et l’Histoire très intéressante. Le mot patrimoine est aussi de plus en plus utilisé par le milieu associatif, pour désigner des objets, des sites, des pratiques, des espaces, et ne se réduit plus qu’au concept de monuments historiques. Pour finir, et comme le dit Alain Chenevez : “le patrimoine est une valeur sociale et symbolique qui évolue selon les époques et qui a un rapport qualifiant avec le temps et l’espace, mais aussi avec les mots et les choses”.